Loukia Efthymiou, «Katerina Dalakoura & Sidiroula Ziogou-Κarastergiou, Η εκπαίδευση των γυναικών. Οι γυναίκες στην εκπαίδευση (18ος-20ός αι.)», Clio. Femmes, Genre, Histoire, 48/2018, σ. 266-268.

Compte rendu


Efthymiou Loukia, «Katerina Dalakoura & Sidiroula Ziogou-Κarastergiou, Η εκπαίδευση των γυναικών. Οι γυναίκες στην εκπαίδευση. Κοινωνικοί, ιδεολογικοί, εκπαιδευτικοί μετασχηματισμοί και η γυναικεία παρέμβαση (18ος-20ός αι.) [L’éducation des femmes, les femmes dans l’enseignement. Mutations sociales, idéologiques, éducatives et intervention féminine, XVIIIe-XXsiècle (espace hellénophone)]», Clio. Femmes, Genre, Histoire, 48/2018, σ. 266-268.

https://journals.openedition.org/clio/15243

Cet ouvrage est le fruit de la collaboration féconde de deux spécialistes de l’histoire de l’éducation : Sidiroula Ziogou-Karastergiou, pionnière du versant féminin de cette discipline qui se développe en Grèce surtout à partir des années 1980, et Katerina Dalakoura, l’une des premières historiennes grecques à avoir ouvert le chantier dans la perspective du genre.

L’ouvrage fait partie de la riche collection de livres électroniques universitaires grecs, constituée entre 2013 et 2015 dans le cadre du grand projet académique réalisé par divers partenaires, dont l’École polytechnique. Destiné certes en premier lieu au public estudiantin des facultés des sciences de l’éducation, il est pourtant bien plus qu’un modeste manuel universitaire : il constitue la première synthèse, chronologique et spatiale, de « l’histoire grecque » de l’éducation des filles – son titre en révèle d’ailleurs l’ambition – et propose dans le même temps une mise au point scientifique et bibliographique, précieux outil à la fois de transmission des acquis et de repérage des lacunes d’un chantier où, même après un demi-siècle de recherches, l’heure du repos ne semble pas être encore arrivée.

En ce sens, le livre de Katerina Dalakoura et de Sidiroula Ziogou-Karastergiou, réussit un pari audacieux, qui consiste à enchaîner de manière imaginative et efficace enseignement et écriture de l’histoire. L’organisation intérieure de chacun des sept chapitres qui composent l’ouvrage reflète l’ambition des deux universitaires : le récit historique, richement illustré, est chapeauté par une synopsis dégageant la problématique de l’unité enseignée et par un rappel bibliographique des connaissances exigées pour aborder son étude ; il est suivi d’une abondante bibliographie (sources primaires et secondaires) et de nombreuses annexes contenant des tableaux de données quantitatives supplémentaires ainsi que des documents de nature diverse (rapports, lois, témoignages, romans, discours…). Faisant objet de renvoi dans le texte, ces annexes concourent grandement à satisfaire la portée pédagogique du projet.

L’originalité de la démarche réside tout d’abord dans le fait que les auteures voient large dans l’espace et dans le temps : comme le sous-titre du livre l’indique, l’« histoire grecque » de l’enseignement féminin s’étend sur trois siècles (xviiie-xxe), et sur deux aires géographiques, politiques et culturelles, l’Empire ottoman et l’État grec. Élément unificateur : la langue et la culture hellénique, au carrefour de l’Orient et de l’Occident.

Leur regard embrasse par ailleurs à la fois les institutions et les individues, approche qui permet de repenser et de renouveler l’écriture de l’histoire de l’éducation des Grecques. Ainsi, la première partie de l’ouvrage, composée de quatre chapitres, se concentre sur l’organisation du système éducatif féminin dans l’espace hellénophone. Deux grandes périodes sont proposées, délimitées par la rupture de la Première Guerre mondiale et par la catastrophe de l’Asie Mineure (1922). Dans ce vaste panorama où les trois degrés d’enseignement sont examinés, les auteures, après une analyse détaillée des débats idéologiques des xviiie-xixsiècles sur la nature féminine et la différence des sexes, traitent des évolutions institutionnelles conditionnées par les mutations du contexte socioculturel et économique, examinent l’essor et la diversité qualitative des établissements qui sont adressés aux filles et dont le fonctionnement permet dans certains cas de nuancer les évolutions chronologiques, et se penchent sur des questions concernant les effectifs et les personnels enseignants. Ce dernier point fait notamment ressortir des formes intéressantes d’« agentivité » et de négociation féminines. L’ébauche d’une histoire grecque de la mixité scolaire est également tentée.

Quant aux trois chapitres de la deuxième partie, ils nous entraînent sur un autre terrain, celui de la formation professionnelle, des rôles et de l’action plurielle des enseignantes au xixe siècle et dans les premières décennies du xxe siècle. La démarche juxtapose ou plutôt confronte, d’une part, les discours sur le métier enseignant et les représentations souvent contradictoires des institutrices et des professeures, à, d’autre part, les pratiques et les exigences professionnelles, les projets intimes et les transgressions des normes sociales et culturelles, mettant au centre de la discussion le « paradoxe » du métier d’institutrice : à savoir, le devoir des enseignantes de transmettre aux jeunes grecques des valeurs, des attitudes et des modèles de vie traditionnels qui, de ce fait, sont incompatibles avec les nouvelles images de la féminité qu’elles leur présentent. Images de professionnelles, d’abord, dans un environnement institutionnel donné, mais aussi images de femmes qui investissent l’espace public et se rendent visibles par un engagement social, intellectuel et militant très varié. Philanthropie, édition et journalisme, féminisme et syndicalisme sont les champs où, malgré les obstacles, se déploie une action intense qui bouscule les conventions de genre de leur époque. Dans le dernier chapitre du livre, s’opère un changement d’échelle avec le recours à l’approche biographique qui, au prisme du genre, permet de montrer comment une individue/sujet historique dotée d’« agentivité » peut influer sur l’environnement institutionnel et finalement intervenir dans le politique. Cinq figures marquantes du milieu enseignant, nées entre 1820 et 1887, sont mises en lumière dans ce chapitre : Polytimi Kouskouri (1820-1854), Efrosyni Samartzidou (1821-1877), Sapho Leontias (1830-1900), Aikaterini Xristomanou-Papadimitriou (1842-1916) et Myrsini Kleanthous-Papadimitriou (1887[?]-1981). L’analyse porte certes sur leur vie et leur activité enseignante, mais plus encore sur leur œuvre, où se déploie une réflexion pédagogique originale ouverte aux idées nouvelles venues de l’Occident. C’est une autre manière d’aborder la formation et l’éducation des femmes, d’écrire l’histoire de leur contribution intellectuelle et pédagogique à l’élaboration des théories et des pratiques d’enseignement.

L’éducation des femmes, les femmes dans l’enseignement est un ouvrage de synthèse important qui jusque-là faisait défaut en Grèce. L’entreprise est audacieuse, ses exigences multiples : d’où une structure parfois touffue et quelque peu discontinue. Mais il s’agit également et surtout d’un outil pédagogique fort utile et solidement documenté qui se recommande par les aspects théoriques de sa réflexion. On peut juste regretter l’absence d’une conclusion générale et d’un index nominum et rerum. Une dernière remarque concerne la langue d’écriture. Rédigé en grec, l’ouvrage n’est pas accessible au lectorat non hellénophone. Espérons que l’intérêt incontestable qu’il présente pour les historiens et les historiennes de l’éducation amènera les auteures à considérer l’éventualité de sa traduction dans d’autres langues, ce qui faciliterait grandement sa diffusion plus large. D’autant que Katerina Dalakoura et Sidiroula Ziogou-Karastergiou apportent une contribution importante à l’histoire de l’éducation féminine : en articulant l’institutionnel et le politique, le social, le culturel et l’intellectuel, leur livre multiplie les points de vue, explore de nouvelles pistes et, ce faisant, invite à la réflexion et à la discussion.