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Cette contribution au volume consacré à l’identité féminine dans l’oeuvre d’Elsa Triolet tente de décrypter la pensée « féministe » de l’auteure à travers ses écrits personnels et autobiographiques, ses articles et reportages, les discours également prononcés dans le cadre des manifestations organisées par l’Union des Femmes Françaises. Dans une première partie sont examinées ses conceptions sur les rapports des sexes. Triolet réfute haut et fort la supériorité des hommes sur les femmes et condamne la ségrégation des sexes. Selon l’auteure l’être humain n’est pas fait que de « féminin » ou que de « masculin ». La société devrait être donc construite à l’image de cet être mixte : elle prône alors un univers bisexué, un langage aussi dans lequel les deux sexes seraient visibles. Pour y arriver, elle invite à un « féminisme individuel », un féminisme quotidien. C’est qu’elle rejette l’idée de la mobilisation collective des femmes : à son sens, cette forme de lutte représente une autre manifestation du « ghetto » qu’elle abhorre. Fidèle à ces convictions, elle choisit de promouvoir des causes qui s’inscrivent dans le cadre plus large de l’action des intellectuelles de gauche proches du PCF. Dans la deuxième partie, il est question de son engagement dans la Résistance. Au cours de cette période de sa vie, Triolet se soumet en apparence à la répartition sexuée des rôles. Le « je » féminin recouvre ses droits dans ses seuls écrits portant sur cette période : moment transitionnel, la guerre bouleverse les équilibres et les assignations, brouille les identités. Ces textes participent ainsi à la construction d’une mémoire communiste de la Résistance au féminin. La troisième partie est consacrée au combat de Triolet, compagnon de route du PCF, contre l’invasion d’une culture américaine en France. En pleine guerre froide, l’auteure ne dissocie pas la lutte en faveur d’une littérature « progressiste » de celle pour la paix : les femmes pourraient contribuer à la propagation de cette culture, seule arme contre la guerre. Fidèle à la ligne du Parti, elle ne cesse de valoriser - quand l’Union des Femmes Françaises fait appel à elle – cet aspect du rôle social féminin. Pour expliquer la propension des hommes à la guerre, elle a recours au schéma nature/culture : elle considère que seule la paix est conforme à la nature des deux sexes, le bellicisme étant ainsi présenté comme une construction sociale ; or, la nature masculine n’est pas perméable au conditionnement social, d’où la supériorité naturelle des femmes dont la présence dans la sphère publique constitue, de ce fait, une condition indispensable au progrès humain.
L’errance à travers les textes d’Elsa Triolet conduit donc à la constatation que sa pensée « féministe » se forme sous le signe de la contradiction due aussi à son appartenance politique : adhésion à un féminisme de l’égalité dans son discours introspectif mais, dans la sphère publique, promotion du différentialisme sexuel ; lutte individuelle pour l’égalité avec les hommes et, parallèlement, rejet d’une action féministe collective au nom d’une société mixte et égalitaire.